top of page

J'ai mangé un rêve

J'ai mangé un rêve. Un rêve, c'est toujours doux et goûteux, parfois drôle et souvent délicieux. Alors, j'ai mangé un rêve. J'avais les crocs, le vide tambourinait à la porte de mon ventre. Il était en colère , mon ventre. Toutes ces années sans rêves à savourer ! Et un ventre sans rêve, c'est un ventre qui ne palpite pas. Alors j'ai mangé un rêve. Il avait des couleurs de ciel calme, et un parfum fort et sucré. Et comme le vide s'agitait dans mon ventre, je n'ai pas attendu. J'ai ouvert grand mon ventre, et j'ai happé le rêve tout cru.

Et le vide s'est éteint. Et le rêve a allumé un grand feu dans mon ventre palpitant.

Oh, ce n'était pas un rêve banal. Ce rêve-là était cuisiné aux petites mélodies. Il était bordé de polissonneries, et portait un manteau d'amour franc. Il était joueur, ce rêve, et distribuait de grands éclats de rire à mon ventre ravi. Mais tu sais, quand on a eu faim longtemps, on n'est jamais repus. On a peur de manquer. Et mon ventre après quelques temps a réclamé au rêve qu'il rêve plus fort, et puis plus grand. Tu penses ! Le vide, ça revient vite ! On sait jamais au fond combien ça dure, un rêve dans le ventre.

Le rêve a commencé à perdre ses couleurs. Remplir un ventre qui n'est jamais satisfait, c'est usant à la fin !

Moi, je ne disais pas grand chose. Je sentais bien que mon ventre se creusait un peu et que le rêve s'estompait, mais j'avais trop peur. J'ai laissé mon ventre gargouiller, de plus en plus fort, et le rêve s'effacer, de plus en plus vite.

Pourtant, c'était un rêve bien trouvé. Un rêve de musique et de mots balancés dans l'éternité des heures la nuit quand le cœur se repose. Un rêve de poésie et de sang vif, un rêve fertile, qui faisait naître dans son ciel limpide de grandes écharpes de rire, de complicité, et de cette force reposante. Un rêve flottant sucré joueur mélodieux, avec sa dentelle sombre qui ornait si bien les lunes sauvages dans mon ventre.

On ne commande pas toujours à son ventre. Et un jour, sans un bruit, le rêve s'est envolé. Il a laissé mon ventre béant, et le vide s'est empressé de s'y engouffrer.

J'ai mangé un rêve. Peut-être que certains rêves très beaux sont aussi indigestes.



bottom of page